Le Parisien a interviewé deux anciens joueurs des clubs rivaux: David Ginola et Marcel Dessailly.
Même s'ils sont impatients de voir leurs équipes en découdrent, les deux anciens internationaux restent honnêtes et décortiquent les Classico de leur époque ainsi que de maintenant.
Quelles images gardez-vous des clasicos du début des années 1990 ?
MARCEL DESAILLY. Des souvenirs énormes ! Il y avait l'énergie qui entourait ces rencontres, les discours de Tapie dans le vestiaire. C'était LE match de référence. Comme avant les matchs de coupe en Angleterre, on sentait le public se mobiliser. C'est l'entourage qui faisait basculer cette rencontre dans une autre dimension. Les commerçants qui ne me parlaient jamais de l'année, le boulanger ou le charcutier, m'interpellaient pour me faire comprendre qu'ils comptaient sur nous. On sentait la pression monter, il fallait être à la hauteur.
DAVID GINOLA. Les matchs en eux-mêmes ne restent pas dans mes meilleurs souvenirs. On ne peut pas dire qu'on se soit éclatés à jouer des clasicos au niveau du jeu, c'étaient souvent des matchs hachés. Mais tout ce qui précédait l'événement était intéressant à vivre. Tous les jours, il y avait des articles dans la presse, la pression montait. C'était une question de suprématie. Marseille avait à l'époque la mainmise sur le foot français. Même en 1994, lorsqu'on a été champions, on avait éprouvé des difficultés et c'était la seule équipe qu'on n'avait pas battue.
Pourquoi ces matchs étaient-ils si rugueux ?
D.G . Toute la préparation du match était faite pour que les joueurs arrivent sur le terrain avec l'envie et la motivation pour marcher sur l'autre. Plus du côté marseillais d'ailleurs, où les mots étaient plus forts. Les mecs entraient sur le terrain avec les crocs et la première chose qu'ils voulaient, c'était te mordre. Et puis l'arrêt Bosman n'était pas passé, c'était un duel franco-français.
M.D. Effectivement, à l'époque, 80 % des joueurs de l'équipe de France jouaient à Marseille ou à Paris. Il y avait un challenge entre le titulaire d'un côté et le remplaçant de l'autre. Il y avait une émulation pour montrer sa valeur et accéder à l'équipe nationale. C'étaient des matchs dans le match par rapport à la sélection.
D.G. On s'en reparlait à Clairefontaine. Je disais à Basile (Boli) : « Tu as pété un câble. » Il me répondait : « Mais oui, mais ils nous ont dit ceci et cela dans le vestiaire et quand je rentre sur le terrain, je m'énerve tout seul. » (Rires.)
Cette rivalité prend-elle sa source en dehors des stades ?
M.D. Il y a un antagonisme entre les deux villes. Paris est la capitale, le centre économique du pays. Les Marseillais ont toujours eu le sentiment d'être un peu les délaissés. Je l'ai aussi connu en Italie avec les matchs entre l'AC Milan et les équipes du sud de l'Italie. On veut montrer qu'on n'est pas des moins que rien à Marseille. La nouvelle dimension économique du PSG renforce ce constat.
D.G. C'est vrai que les différences culturelles ajoutent quelque chose, il y a le côté pagnolesque, le Sud contre la capitale qui représente la centralisation du pouvoir, des médias. C'est un peu la lutte des classes.
Le clasico a-t-il perdu de sa saveur aujourd'hui ?
D.G. Pas chez les supporteurs. Je le ressens quand je vais au Parc. La rivalité existe toujours dans les tribunes. Un peu moins sur le terrain. Beaucoup de joueurs viennent d'horizons et de cultures différents. Le culte du clasico, ils ne l'ont pas vécu suffisamment pour comprendre l'enjeu de ces rendez-vous.
M.D. A notre époque, les deux clubs étaient en concurrence sportive pour les premières places. Là, c'est un peu moins le cas mais on espère toujours que Marseille ait un sursaut et mette en difficulté Paris. C'est cela qui le rend excitant aujourd'hui.
Le destin des deux clubs peut-il mettre à mal le clasico à l'avenir ?
D.G. L'OM de Tapie était dans la position du Paris d'aujourd'hui. Ils attiraient les meilleurs joueurs, ils avaient remporté la Ligue des champions. Ils étaient champions de France, ils gagnaient à peu près tout. Aujourd'hui, Paris est très loin devant et peut regarder l'avenir avec beaucoup de sérénité et d'optimisme. L'effectif va encore s'étoffer et le club va gagner des titres. Nous, même avec le soutien de Canal +, on avait le sentiment que les choses pouvaient s'arrêter. Marseille doit reconstruire quelque chose, mais comment ? Le fair-play financier va permettre de changer les choses mais, pour l'instant, c'est très compliqué pour l'OM.
M.D. J'espère que, à l'instar de Lille ou Montpellier ces dernières années, Marseille pourra être régulier toute une saison et surfer sur sa confiance pour pouvoir embêter le PSG. C'est dommage que les autres n'aient pas la confiance qui leur permette de maintenir le cap. Mais ce nouveau PSG, c'est un plus pour toute la L 1. C'est incroyable comme il a relancé l'intérêt pour la compétition. En termes de merchandising, de retombées médiatiques, c'est énorme.
Quel regard portez-vous sur la trajectoire des deux clubs ?
D.G. A Marseille, j'avais fondé beaucoup d'espoirs sur Payet. Il a déçu. Il a du mal à s'imposer dans le jeu. A Paris, Ibra est de plus en plus impressionnant. Il fait du bien sur le terrain, dans le vestiaire. J'aime beaucoup les voir jouer car ils sont tout le temps capables de te surprendre. L'équipe est au top. Je pense qu'elle peut surprendre son monde en Ligue des champions. Elle en a les armes.
M.D. En début de saison, les Marseillais savaient qu'ils n'avaient pas les moyens de jouer les toutes premières places. Ce sont les supporteurs qui rêvaient que le club garde le statut qui était le sien auparavant. Paris, de son côté, est dans une dynamique très positive. Mais tant que le PSG ne caracolera pas en tête, le championnat gardera de son intérêt. Pour l'instant, cela excite le grand public de savoir qui va pouvoir les faire tomber. Il faut garder cette part d'incertitude même si elle est minime.